In Memoriam: Le Silence Coupable
In Memoriam : Le Silence Coupable
La parole ne pense pas, seul le silence réfléchit, nous dit-on ?
Devrons-nous continuer à détourner du regard ou à baisser les yeux devant toutes ces victimes, toutes ces familles éplorées qui souffrent dans le silence de leur intimité ?
Lorsqu’il y a trop de
choses à dire, mieux vaut se taire. C’est la conduite que me dicte mon
inconscient devant l’emballement actuel des événements dans mon pays. Il y a de
gros nuages sur le ciel sénégalais, des actes manqués et des démarches maladroites. C’est comme si le
sort s’ abattait sur ce géant d’ Afrique dont la démocratie et le respect des
droits humains étaient chantés partout et montrés en exemple. Hélas, les beaux moments
de l’alternance sont bien loin derrière nous.
Aujourd’hui, une crise aiguë
s’empare de mon pays et nous plonge dans une
terreur tout aussi étrange, les droits humains sont piétinés sans être
inquiété. On court des risques de dégoût en voyant comment l’administration, la
justice et la cuisine se préparent au Sénégal. A peine l’huile
touche le fond de la marmite, tu es envoyé frire à l’hôpital, dans un cachot ou
à la morgue.
Le serment de Galien est aujourd'hui chanté à l'envers, surtout dans son paragraphe qui disait " qu'en aucun cas, je ne consentirais à utiliser mes connaissances et mon état pour corrompre les mœurs et favoriser des actes criminels" . En tout cas, c'est tout le contraire qui ressort du rapport de genre de mort du médecin statuant sur ce fils du "Ndoucoumane", le cas du jeune soldat du feu Chérif NDAO mortellement torturé au cours de sa formation ou de manœuvres militaires excessives, extrêmement violentes, devrait-on dire , nous révèle le rapport d'autopsie.
Le drame continue avec l'administration pénitentiaire qui s'est permise d'esquisser un pas de danse sur le jeune Cheikh Mawlani SANE mortellement foudroyé dans sa cellule en prison, pendant que les jeunes étudiants sont entrain de s'enquérir de l'état de leur camarade, admis en urgence à l'hôpital Principal de Dakar , qui, pour le reste de sa vie perdra l'usage de son œil.
Pendant ce temps, leurs auteurs, des
criminels de haut vol, des gredins orthodoxes, des tueurs en série bien identifiés sont laissés en liberté, en cavale et certains même peuvent s'offrir des hôtels "7 étoiles". Devant cette injustice, la justice garde le silence détourne le regard ou prépare des lois
d’amnistie pour les laver, l’Assemblée nationale devient la blanchisserie de la
place Soweto et le parquet fait
le facteur alors que de l'autre coté, femmes et enfants des victimes se laissent baigner dans des mares de sang, gémir ou geindre. Un spectacle désolant et triste, mais c'est la réalité, vous comme moi, nous tous sénégalais, nous sommes coupables !
Mais loin de là, on se rappelle encore des scènes de fusillade, du genre bienvenu au « far
West » et de pleurs collectifs soigneusement filmés par les chaines de
télévisions qui ressemblent plutôt au spectacle des pleureuses de l’antiquité.
Rétribuées pour assurer le service des larmes, leurs larmes ne traduisent pas
véritablement un deuil sincère et spontané. De plus ces pleurs synchronisés
expriment également pour les populations recluses la nostalgie confuse et
inconsciente de valeurs inconnues comme la justice, la liberté, l’égalité…
Rarement dans l’histoire évolutive de la grammaire, l’homonyme et le
synonyme n’ont aligné autant de symétrie. Le Sénégal, notre cher pays a perdu
la voix et la voie. Comme un cerf volant détaché de sa ficelle, la patrie
flotte aux quatre vents, soumise aux ambiants contraires, aux boulimies
grossières, aux extravagances, à l’outrecuidance et à l’insouciance.
L’intelligence est transformée en muscle, on tire à hue et à dia, il y a comme
une accélération suicidaire, les
premières victimes, on se les rappelle.
La série épouvantable de meurtres n’avait pas encore dit son dernier mot,
Informée la veuve Coumba Fall tomba à la renverse, entra en trame et frôla la
crise cardiaque. Elle avait bien perdu son homme, parti à la fleur de l’âge, Lémou
Ba, maman du défunt descendait du véhicule à Sangalkam et les premières
connaissances du village lui présentèrent leurs condoléances. Ses bagages, elle
n’avait pas le temps ni le cœur de les défaire, parents et compagnons commencèrent
à être informés un à un et les portables crépitaient jusqu’à épuisement des
batteries, presse écrite, radios et télévisions rivalisent d’ardeurs. Hélas,
Malick Ba ce jeune père de famille de
30 ans était foudroyé par une balle de calibre 5 millimètres, tirée par un commandant
de brigade (Samba Sarr) suite à une chaude matinée de contestation
post-découpage administratif à Sangalkam. Papa était bien parti laissant derrière
lui trois «bouts de bois de
Dieu » (une fille de 7 ans et des jumeaux de 4 ans) qui ne comprennent pas
toujours ce qui se passe. Ses enfants qu’il avait l’habitude d’emmener à la
mosquée apportent chaque vendredi son tapis de prière à la mosquée dans l’espoir d’y trouver leur père.
L'épisode se poursuit et ne se fait pas raconter, le colosse était dans un
état second. Il avait la mine renfrognée, le regard étonné. Il avança à pas lourds
vers la foule et s’adossa, un peu plus loin, sur le pan d’un mur d’une maison, sans mot dire. Il couvait une colère perceptible sur ses grosses lèvres boudeuses.
Il étouffa un moment sa peine, puis se lâcha tristement : « Non,
non ! », monologua-t-il, comme un fêlé du ciboulot. Comme une âme
perdue dans ce trop-plein de tragédie. Il se tait un moment, puis s’affaissa
sur lui même. Il avait les jambes tendues et la tète tournée vers le sol. Il
respirait la terre tel un taureau blessé. Les larmes perlaient de son visage éploré.
L’ambiance est lourde, pesante. Et le corps de Mamadou DIOP, étudiant en master
mortellement et volontairement écrasé
par les véhicules blindés des forces du maintien de l’ordre (pour ne pas dire
de la police) n’etait pas encore arrivé sur les lieux de sa dernière demeure.
L’heure passa, et les minutes interminables secouèrent les visages graves et
tristes de cette foule, amis
d’infortune, frères et parents inconnus venaient accompagner Mamadou. Pas l’ombre d’une autorité du Parti Démocratique
Sénégalais(PDS), accusé d’être responsable de la mort du jeune Mamadou…
En ce moment,
Barthélémy Dias était encore dans les liens de la prévention, promis à un
séjour tous frais à la prison centrale de Rebeuss. Les commanditaires de la
mairie de Mermoz- Sacré Cœur continuèrent à vaquer tranquillement à leurs
occupations et les exécutants de cette salle besogne pourraient s’en tirer sans
trop de dommages. La pression médiatique était forte, les vandales se
retrouvèrent en prison le temps d’une grâce présidentielle. Malick Noël Seck avait fait une bonne monnaie d’échange. Les auteurs des saccages de l’AS et 24 heures
chrono avaient bénéficié de la même magnanimité. La libération du journaliste
El Malick Seck, emprisonné pour diffusion de fausses nouvelles, avait servi
d’emballage. Sous le prétexte de l’apaisement et de la réconciliation, le
régime avait pu abréger la peine infligée en première instance. Le pouvoir
exécutif ne s’encombrait pas souvent des convenances en de pareilles
circonstances.
Mais, comme toute souffrance ramène à l’enfance et
que la souffrance se guérit en faisant face, une étincelle surgit de la
pénombre pour capter la lumière qui inonda le monde, telle une symphonie de
Beethoven ou une mélopée divine, voix du nord comme voix du sud soufflent la
trompette « y en a marre » ou y en a mort , chanté comme un hymne de
survie, refrain du Nouveau Type de Sénégalais(NTS) capable de briser le mûr du silence, de se lever et de se
battre pour porter le fardeau de la souffrance du peuple.
Dans
les Séquestrés d’Altona, Jean Paul Sartre écrit : « je n’aime
pas les victimes quant elles respectent les bourreaux ». Et comme dans un
sommeil long et cauchemardesque, on se refuse encore à ouvrir les yeux sur des
perspectives plus que sombres. L’impunité fomente la guerre, surtout quant elle
triomphe sur la vertu. La justice, le dernier bouclier contre la guerre civile
dans un pays tergiverse chez moi. Il y a des héros en mal comme en bien. Et
ceux qui flattent l’impunité doivent être indexés, identifiés et traduits au
Tribunal de la justice et de l’histoire. Car le jour où le Sénégalais, fatigué d’attendre une
justice qui ne vient pas, se fera justice lui-même, ce sera alors le début du
plus grand désordre. Ce jour là, vous, comme moi, nous tous sénégalais, nous serons responsable.
Que Dieu nous en préserve !j’ose rêver, croire et
espérer qu’un jour viendra où les larmes tomberont des mains et l’impunité paraitra
absurde et impossible. Ce jour là, nous nous sentirons une pensée commune
avec des intérêts communs et une destinée commune. Nous nous embrasserons, et
nous reconnaitrons fils du même sang et de la même race. Ce jour là, nous ne
serons plus des peuplades ennemies, nous serons un peuple, nous serons une
famille, Un peuple où les ennemis se parlent, les adversaires se tendent la
main et acceptent de faire ensemble le
chemin qui mène vers la paix.
Me. Ousmane DIOP, Juriste en Environnement_QHS
Courriel: jacquesousmane@live.fr
jacquesousmane2014@gmail.com
Commentaires
Enregistrer un commentaire