La Justice Sénégalaise doit revoir sa copie sur les Conditions d'Arrestation et de Détention en milieu carcéral



La Justice Sénégalaise doit revoir sa copie sur les Conditions d'Arrestation et de Détention en milieu carcéral

Un jour, en fouillant dans mes archives, je suis tombé sur cette fameuse lettre : « Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier. Nous sommes pris dans un réseau d’interdépendances auquel nous ne pouvons échapper, tous liés par une destinée commune. Tout ce qui touche l’un de nous directement touche indirectement tous les autres. » Martin Luther King, Lettre de la prison de  Birmingham, 16 Avril 1963, États-Unis.

Le Sénégal est aujourd’hui classé parmi les pays sous surveillance, par les observateurs internationaux de défense et de protection des droits humains.

En effet, le respect de l’intégrité et de la dignité humaine est sacré, mais nous nous rendons compte aisément de nos jours, que ce respect est tout simplement bafoué. Les cas de tortures, de traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants des détenus et des prisonniers, ainsi que le surpeuplement carcéral sont difficiles à décrire et constituent une véritable atteinte à la dignité humaine  et à la justice. Nous assistons à des cas douteux de détention dans le cadre d’enquêtes, des cas de détention préventive prolongée, des arrestations à la fois musclées et horribles de nos forces de l’ordre.

Toutes ces inquiétudes nous fomentent en tant que citoyens sénégalais et nous poussent à enfiler l’uniforme de détenus  pour mener des investigations  sur le cadre de vie de ces derniers dans les prisons et les centres de détention, sur les cas de violence rencontrés sans oublier de rappeler le rôle de la police et de l’appareil de sécurité et d’exposer les conditions d’arrestation et de détention en milieu carcéral conformément au droit positif sénégalais.

Le Cadre de Vie en Milieu Carcéral Sénégalais

Les conditions de vie dans les prisons et les centres de détention sénégalais sont très mauvaises. Les détenus coupables au départ pour avoir causé des dommages à leurs victimes et peut être même pas, deviennent par la suite des victimes du fait des tortures, des traitements inhumains et dégradants qu’ils subissent durant leur séjour carcéral et qui résultent de châtiments corporels.

L’Organisation Nationale des Droits de l’Homme (ONDH), estime que le surpeuplement en milieu carcéral et l’absence d’hygiène étaient les problèmes majeurs auxquels étaient confrontées les prisons du pays. La Prison centrale de Dakar, d’une capacité maximale de 700 personnes, renferme environ 1.600 détenus. Au camp pénal de Dakar, environ 800 personnes sont détenues dans une structure d’une capacité d’accueil de 400 personnes. Les activistes des droits de l’homme ont noté que la prison de Nioro était terriblement surpeuplée et ressemblait davantage à un poulailler qu’à une prison. A Diourbel, les détenus sont parfois parqués dehors, dans une ancienne écurie pour chevaux.

Les prisons manquent de médecins et de médicaments. Le Rassemblement Africain pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) a dans son rapport, indiqué que le manque d’infrastructures adéquates de santé cause des troubles mentaux à certains détenus.

L’ONDH à son tour, indique dans son rapport que le ratio national était d’un médecin pour 5.000 détenus et que le gouvernement dépensait seulement 0,66 dollars (340 CFA) par jour et par détenu pour couvrir l’ensemble des coûts. Il y a environ un matelas pour cinq détenus. En raison de la vétusté et de la surpopulation des infrastructures, les prisons sont confrontées à des problèmes d’égouts pendant la saison des pluies et à une chaleur étouffante pendant l’été. D’après les rapports faits par les médias, les conditions de vie dans les prisons ont provoqué de nombreuses tentatives d’évasion. Les prisons sont infestées de cafards et les prisonniers sont confrontés à des agressions sexuelles, une chaleur étouffante et une nourriture extrêmement pauvre en nutriments et médiocre.

Des ONG locales ont signalé que les règles fixant la séparation des détenus n’étaient pas toujours appliquées. Les détenus en attente d’un jugement ont parfois été mis en détention avec des prisonniers condamnés et des mineurs avec des adultes.

Même si les groupes des droits de l’homme ont noté moins de cas de violences corporelles commises par les forces de sécurité, ils ont avancé que la médiocrité de la formation et de la supervision amenait à des traitements cruels et dégradants dans les prisons et les infrastructures carcérales. Les méthodes de fouille au corps et d’interrogatoire ont tout particulièrement fait l’objet de critiques. La police obligerait également les détenus à dormir sur le sol sans aucun couchage, braquerait des lampes dans leurs pupilles et les passerait à tabac avec des bâtons et les maintiendrait dans des cellules où l’arrivée d’air est extrêmement réduite.

Malgré toutes ces atrocités commises, jusqu’à présent, aucune action  à notre connaissance n’a été entreprise par les autorités judiciaires contre la police impliquée dans ces abus. Le constat noté résulte de la faiblesse du système judiciaire sénégalais et de l’impunité qui règne, ce qui amène quelques fois les civils à se révolter pour se faire  justice eux- mêmes. Qu’en est-il  des cas de violences perpétrées ?

Les Cas de Violences en Milieu Carcéral

Ils sont nombreux, les cas de violences commises dans les prisons et les centres de détention sénégalais. Les rapports des médias indiquent qu’un détenu aurait sauté dans le fleuve Sénégal pour éviter d’être capturé par les gardes et s’est noyé. Un autre prisonnier, évadé, aurait été pourchassé pendant 30 minutes à travers la ville avant d’être rattrapé par les gardes qui l’ont renversé avec leur véhicule.

Lors d’un procès, un  détenu indique avoir été torturé par la police, d’après l’ONDH. Ce détenu s’est même permis de se déshabiller devant le tribunal pour montrer les marques de brûlure et de coups de fouet qu’il avait sur le corps. Rien n’a été entrepris contre les responsables de ces actes.

Rien n’a été également fait contre des gendarmes qui auraient dénudé et battu une détenue avec des matraques et des crosses de fusil, alors qu’elle avait été placée en garde à vue suite à une manifestation. Des arrestations et des passages à tabac ont été également notés à l’occasion de certaines manifestations publiques.

D’autres cas de tortures et de violences pourraient être évoquées, le plus récent est celui d’un jeune homme sévèrement cueilli et humilié en prison par les limiers jusqu’à ce que mort s’ensuive, dont les enquêtes et les poursuites judiciaires n’ont pas encore fini de tout révéler dans cette affaire.

Devant de telles bavures se profilent des interrogations sur le rôle véritable de la police et de l’appareil de sécurité.

Le Rôle de la Police et de l’Appareil de Sécurité

Concilier  Sécurité et Liberté représente sans doute l’un des plus grands défis que puisse relever une démocratie moderne comme le Sénégal. La police nationale, placée sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, doit avoir pour vocation la garantie et la protection des libertés. La « sûreté », garantie par l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, est l’expression même du devoir de la police, des hommes et des femmes qui la composent, de cette force au service des citoyens- dont la nécessité est inscrite à l’article 12 de la même déclaration.

Trois missions principales forment le cadre principal de l’action de la police :

  • ü     La sécurité et la paix publique : la police nationale est chargée de veiller à l’exécution des lois, d’assurer la protection des biens et des personnes, de prévenir les troubles à l’ordre public, de garantir la tranquillité publique et de lutter contre la délinquance ;

  • ü    La police judiciaire : placée sous la direction, le contrôle et la surveillance de l’autorité judiciaire, elle a pour mission de rechercher et de constater les infractions pénales, d’en rassembler les preuves, d’en chercher les auteurs et leurs complices, de les arrêter et de les déférer aux autorités judiciaires compétentes ;

  • ü  Le Renseignement et l’Information : la police a pour mission de fournir une information fiable aux autorités gouvernementales, de déceler et de prévenir toute menace susceptible de porter atteinte à l’ordre public, aux institutions, aux intérêts fondamentaux de la nation ou de la souveraineté nationale.

Ces trois missions, qui sont le cœur du métier de la police nationale, font souvent œuvrer de concert l’ensemble des acteurs de la police nationale. En effet, aucune n’est le fait d’une seule direction, et chacune met en action nombre de ses services, à titre accessoire ou principal, au premier chef ou en soutien.

Donc, la police et la gendarmerie ont essentiellement  une mission de maintien de la loi et de l’ordre public dans le pays. Les forces armées partagent cette responsabilité dans des situations d’exception, telles que l’état d’urgence. La police est composée de dix divisions regroupées au sein de la Direction générale de la sûreté nationale. En principe, il est prévu dans chacune des régions du pays, un commissariat de police et une brigade mobile de sûreté. La Gendarmerie est sous la direction du ministère des Forces armées et intervient essentiellement dans les zones rurales où la police n’est pas présente.

La Division des Investigations Criminelles (DIC) est chargée de mener des investigations sur les bavures de la police. D’après les groupes des droits de l’homme, les nouveaux membres des forces de police auraient reçu une formation en protection des droits de l’homme.

L’impunité pose toujours problème. En effet, une loi d’amnistie de 2005 aurait couvert le personnel de police et de sécurité, impliqué dans des « crimes politiques », sauf pour les personnes ayant commis des assassinats « de sang froid ». Verrons-nous ce qu’il en est des conditions d’arrestation et de détention ?

Les Conditions d’Arrestation et de Détention en Droit positif Sénégalais

La constitution et la loi interdisent l’arrestation et la détention arbitraires ; cependant, les autorités ont parfois arrêté ou détenu des personnes de manière arbitraire. Les groupes des droits de l’homme estiment que la détention arbitraire est un problème qui prend de l’ampleur et auquel les autorités doivent très rapidement trouver des solutions.

Bien que la loi spécifie qu’un mandat d’arrêt délivré par le Procureur est nécessaire pour procéder à une arrestation, dans la pratique, la police a souvent placé des personnes en détention sans avoir de mandat. La loi donne également à la police de larges pouvoirs pour garder à vue des personnes pendant de longues périodes avant de les inculper officiellement.

La DIC peut garder les gens jusqu’à 24 heures avant de déposer officiellement des charges contre eux. Les suspects sont souvents gardés au moins six heures avant d’être interrogés. De nombreux détenus ne sont pas rapidement informés des charges qui pèsent contre eux.

La loi stipule que les agents de police peuvent détenir des suspects sans les inculper formellement jusqu’à 48 heures après leur arrestation. Les inspecteurs peuvent demander une autorisation au Procureur pour doubler la durée de cette garde à vue, soit 96 heures.

Dans les cas d’atteinte à la sûreté de l’Etat, ces périodes de détention sont doublées, ce qui signifie qu’un individu accusé de menacer l’ordre public peut être détenu jusqu’à 192 heures. Le temps passé en détention préventive n’est calculé qu’à partir du moment où les autorités déclarent officiellement qu’une personne est détenue. Une pratique critiquée par les groupes de défense des droits de l’homme car elle entraîne des périodes de détention anormalement longues.

La caution est possible mais a rarement été utilisée. Pendant les quarante-huit premières heures de détention, l’accusé n’a pas accès à un avocat mais a droit à une visite médicale et a potentiellement accès à sa famille. L’accès à la famille n’a généralement pas été autorisé, car la police a eu tendance à isoler les détenus pendant la phase d’enquête. Si cela s’avère nécessaire, un procureur peut demander un examen médical de l’accusé. A la fin de cette période initiale de détention, l’accusé a droit à un avocat à ses propres frais. Des avocats commis d’office sont fournis à toutes les personnes accusées d’un délit au pénal qui ne peuvent régler les frais d’avocat. Un certain nombre d’ONG apportent également une aide juridique et/ou des conseils aux personnes accusées de délit au pénal.

L’accumulation des dossiers judiciaires et l’absentéisme des juges ont favorisé de longues périodes de détention. La loi précise qu’un accusé ne peut être détenu en prison pendant plus de 6 mois avant son jugement pour des délits mineurs ; toutefois, les prisonniers sont régulièrement maintenus en prison, sauf si un tribunal demande leur libération. Alors que la durée maximale de détention est de 6 mois pour la plupart des délits, la durée moyenne entre l’accusation et le jugement est de 2 ans.

Certaines personnes sont en détention provisoire depuis plus de six ans. Dans de nombreux cas, les personnes ont été libérées sans même que des accusations aient jamais été portées contre eux.

Pour les affaires de meurtre, atteinte à la sûreté de l’état et détournement de fonds publics, il n’y a pas de limite à la période de détention préventive. Les juges peuvent prendre le temps nécessaire pour enquêter sur les affaires graves, mais ils peuvent ordonner la relaxation en attendant le procès, avec l’approbation du procureur. Si un procureur est en désaccord avec la décision d’un juge d’ordonner la libération d’un prévenu, cette décision est gelée jusqu’à ce que la cour d’appel décide d’accorder ou de ne pas accorder la libération. La loi stipule que le procureur a toute liberté pour refuser la libération provisoire dans l’attente du procès dans les affaires d’atteinte à la sûreté de l’état.

Cependant, les juges ayant trop peu de temps pour examiner l’ensemble des cas, les ordres de prolongation de la détention ont souvent été signés sans examen individuel des faits, pour éviter de relâcher des détenus potentiellement coupables.

Aujourd’hui, semble-t-il, l’Assemblée nationale a adopté une loi criminalisant la participation à la torture, au génocide et aux crimes contre l’humanité ; cette loi a été adoptée pour faciliter les poursuites devant la justice. 
Par ailleurs, il est vrai que la police reste une force de défense et de sécurité, mais il faudra penser à sa dépolitisation et à une réforme orientée vers le recrutement et la formation initiale de ses éléments pour une intervention beaucoup plus professionnelle sur le terrain.

                                                                                                              
                                                                    
                                                                   Me. DIOP Ousmane, Juriste en Environnement_QHS


Courriel: jacquesousmane@live.fr
jacquesousmane2014@gmail.com












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